Pour vous et pour moi, la fin des ténèbres approche. Vous n'êtes pas seul. Je vous écris encore

Sur la table des lettres, des courriels, traces fragiles qui reposent sur ma vie, passerelle au-dessus de l’absence.
Neige légère, comme si la poussière du monde revenait sur nous. Il reste parfois peu de choses : quelques traits sur le visage, les lignes retenues au bout des doigts, des fragments entassés par le temps. Frêle éclats répandus çà et là, comme si la marque légère n’était pas encore la marque, comme si quelques flocons n’étaient pas encore de la neige.
Fracas, bourdonnements, jour qui gémit dans le jour. À l’écart de ce qui sans cesse s’éloigne, j’écoute les commencements que traverse une seconde. Par tout les angles à la fois, la vie est là, irréparable mouvements d’ombres et d’éclaircies, envers et endroit d’une même saison, d’une même parole. La vie est là, qui quelquefois se brise contre elle-même. Au milieu de notre commune banalité, je vous écris, que je vous aime.
Neige légère et lente d’une nuit venue s’allonger entre le monde et moi. C’est toujours un même enfant qui revient à travers nous, toujours un même désir qui murmure, mon amour, et ce laisse approcher par le désastre. Vu de par ma fenêtre, le bord inentamé du jour. Le temps passe. Comme une blessure, certaines heures viennent et s’en vont, me laissent avec un regard, une solitude qui me jettent à distance des choses, de la réalité soulevée par quelques mots. Une faille se redresse à travers vos lettres, vos courriels, parmi ces miettes d’infini qu’ont rassemblées nos mains, nos voix.
À nouveau la nuit au milieu d’heures lentes. J’aimerais pourvoir vous rejoindre en de pareils moments, sentir avec vous le poids enfin supporté du vide sur notre âme, rester dans un paisible attention au silence ainsi versé, saisir doucement l’insaisissable.
Sur la table, vos lettres, dans mon ordinateur, vos courriels et les miens, les traits d’une perte jamais épongés. Sans dedans et dehors, elles me préservent du lieu inhabitable qu’est le manque sans un corps qui s’y donne.
Sans cesse notre voix nous échappe, et avec elle, ce que l’on est et ce que l’on fait. Parmi les couloirs interminables qu’emprunte l’écriture, trouverai-je votre présence ?
Le plus souvent, nous marchons sans comprendre ce mouvement, sans entendre son pas, mais sachant qu’il faut aller au-delà d’un vide en nous, et qu’alors seulement commence notre marche. Ces moments-là, je pense au désert, à vous.
Il y a soudain le battement du cœur d’un oiseau, cela seul cassant l’air. Derrière moi, des pas que je sais avoir posés mais que le sol n’a pas retenus. Je voulais apprendre la soif. Le sable, c’est l’infini qui nous traverse lentement depuis une origine que nous ne savons nommer. Dépouillé de lui-même, le monde ramène sa blancheur. Elle seule maintenant soutient la mémoire que je recrée. Plus loin je cherche encore à voir s’il y a quelqu’un.
Pas d’autres événement dans la nuit que ces heures lentes où l’on tend l’oreille aux moindres signes de la vie et où l’on s’arrête devant quelques mots d’amour et de désespoir recueillis au fond des jours; pas d’autres événement qu’un silence adossé au désir, et cette folie de marcher encore, d’écrire ces lettres, répondre à ces courriels qui ne vous ramènent pas.
Je suis maintenant au plus près de l’évidemment, là où ce que l’on est et flotte au-dessus de nous-mêmes, fuyant, tenu à l’écart par on ne sait quelle perte ou en quelle extrémité du monde. Dans cet espace illimité, on ne prétend plus être davantage que des milliers de particules ramassées le long du temps, ni dire autre chose que ce qui nous échappe aussitôt.
Neige légère dans la nuit lente, En elle reparaissent mes fragilités, secrètement affûtées par le froid auquel je suis retenu.
Sauvage et douce, l’ombre descend en nous érode nos certitudes. Juste cela, l’inexistence de ce qui relie. Nous ne savons que faire de l’étendue qui nous habite, sinon la vêtir de quelques paroles ou suivre maladroitement les trouées de lumière qui nous devancent. Et parfois, tenir un visage contre le nôtre.
Votre visage survit à chaque phrase déposée devant vous. Je vous imagine retenir l’une d’elles comme si votre âme pouvait en être consolée. J’écoute les battements de votre cœur à travers le détail de la vie, des choses aussi simples que la pluie sur les volets, une heure ou deux passées dans un café, les rues d’une ville, un poème.
Les lettres ne franchissent aucune distance; elles vont parmi d’autres passants dans la gare du monde, là où rien n’existe au-delà de notre solitude, même similitude. Il n’y a peut-être rien ni personne, mais je m’entête à fouiller l’ombre et l’écho, à tour réapprendre d’un seul mot venu comme un atome de présence sur la terre froide, je m’entête à rester là où un instant froisse la peau. Il n’y eut peut-être rien ni personne, pourtant votre visage demeure au bout de tous les autres.
Encore l’aube devant moi, encore ces lettres, ces courriels de vous comme un corridor où, sans apparaître, vous reparaissez pourtant. Votre corps est une mémoire de ce que je suis. Nous avons marché jusqu’à la chambre que renferme la chambre. Comme un écho de l’air, d’une ondée, de quelques étoiles, nous étions ces passages ininterrompus de la vie.
De très loin, je me penche sur ces lettres, ces multiples courriels de vous qu’effleurent tour à tour nuits et jours, fissures et apaisements, désirs et pertes. Alors seulement, je vous écris encore.
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